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Mich'to dans le virage

Rencontre avec Mich'to, brocanteur, charpentier et créateur de cabaret

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En venant de Tigné, après un vieil arbre dénudé sur un flanc, la route tourne légèrement sur la droite avant de filer à travers les vignes. On pourrait passer à côté sans le remarquer. On ne voit pas la bâtisse, seulement le panneau usé « Chez Mich’to » surmonté d’une enseigne « Igol lubrifiant ». Mais en tournant la tête, le décor détonne dans le paysage. D’abord deux pompes à essence abandonnées, puis une dizaine de vieilles voitures parmi lesquelles une Peugeot 403 noire, une Citroën Visa et ce qui ressemble à une DS à demi-emballée sous une bâche où le vent s’engouffre. Un peu plus loin, sur la première façade, les grandes lettres rouges de CITROËN rappellent qu’un garage auto était installé ici, avant que Mich’to arrive. Ce qu’il s’y passe maintenant est inscrit sur les dizaines de coupures de presse, collées sur les vitres : « L'incroyable cabaret de Mich'to », « Collectionneur en série », « La brocante pas comme les autres de chez Micht'o ».

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Après quelques tables en fer forgé et de vieux cadres de lits rouillés, la cour mène à un hangar peint en violet qui ouvre grand ses portes. Couché devant, Fléau accueille les visiteurs et accepte toutes les caresses de passage, relevant mollement sa tête chauffée au soleil d’avril. Pourtant, personne n’est là. Seulement un vague tonnement sourd au loin. Posé sur une table en formica, le livre d’or fait comprendre aux curieux que la situation n’est pas inhabituelle.

“Toujours pareil Mich’to, t’es où ?”
“Super génial, mais quelle galère pour retrouver Mich’to.”


Alors plutôt que d’attendre face aux solex, aux vieilles bicyclettes et à un uniforme militaire cintré sur une armoire, mieux vaut suivre le bruit, monter sur la mezzanine, croiser une table de billard, des meubles en bois vernis, des machines à coudre, avant de voir une silhouette apparaitre, affairée derrière de grandes cloisons en tissu. Mich’to travaille. Il visse de nouvelles étagères pour y déposer de vieux combinés de téléphone, des postes de télé, des platines vinyles. Il grogne gentiment, mais descend de son échelle pour faire visiter son bâtiment.
 
En suivant le maitre du lieu, grande figure au regard doux, cheveux blancs et raides tombant sur sa nuque, moustache et barbiche, le parcours fait découvrir ce qu’il construit à l’abri des regards depuis un peu plus de 10 ans. On baisse la tête pour entrer dans la salle rouge, sa couleur préférée, où s’alignent des centaines de camions de pompiers et de figurines. On déambule à travers les valises empilées et les toiles d’araignées qui se suspendent aux cadres de vieux vélos, on croise des baby-foot, des chaises enchevêtrées, des gaules attachées sur le toit d'une voiture en suspension, des pianos, de la vaisselle en porcelaine. De retour en bas, on entre dans une salle d’école, imaginée en nostalgie de l’émission « La Classe », meublée de pupitres récupérés dans une école du coin, de registres, d’un squelette démembré, de vieilles cartes de France, de plumes et de pots d’encre. On traverse le bar où se rejouent sur les murs des scènes de Pagnol et juste derrière, on lève les yeux sur les dizaines de pots et de passoires accrochés au plafond de la cuisine où Mich’to, peint couronné d’une toque, nous invite à sa table.

Mais sa plus belle œuvre se trouve à quelques portes de là, à côté du caveau des années 60 et de sa fresque des Tontons flingueurs, peinte comme les autres par l’artiste Jean Aubin. On traverse l’accueil où des mots de Patrick Sébastien, idole et guide, félicitent Mich’to et on passe la porte du « petit cabaret » : son premier projet, achevé en 2010. Les grands soirs, cette salle feutrée teintée de rouge accueille une centaine de spectateurs assis sur les sièges d’un ancien cinéma ou au fond, sur les banquettes illuminées de loupiotes qui font apparaitre les portraits de Fernandel, Piaf, De Funès ou Gabin. Abrités par une impressionnante charpente en bateau, ils assistent à des concerts, des pièces de théâtre, des numéros de magie, dans cette pièce où, il y a seulement quelques années, Mich'to construisait encore des maisons en bois.

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Gueule de bois

Son père, son grand-père, son arrière-grand-père sont nés à Saint-Georges-sur-Layon à deux kilomètres de là. Lui a grandi à Louresse, pas bien loin. Jeune adulte, pourtant, Mich'to est parti travailler à Paris, Rambouillet, en Belgique : partout où il y avait du boulot. Il aurait aimé continuer un peu, aller à l’étranger faire du placo pour gagner des sous, mais son gamin ne supportait plus son absence, jusqu’à tenter de mettre fin à ses jours. Mich'to lui avait promis : un an. Alors, il est rentré, s’est installé et est devenu le premier charpentier du coin à faire des maisons en ossature bois, d’abord à Saulgé et puis ici, à mi-chemin entre Saint-Georges et Tigné. Un travail prenant, éreintant, mais qui n'a jamais éteint une passion dont il explique très bien l'origine en introduction de son livre d’or.

« J’ai toujours aimé faire des vide-greniers pour de petits achats d’objets anciens que d’autres générations ont manipulé. Puis le déclenchement a eu lieu à la naissance de mon petit-fils en 2003 avec la récupération d’un tricycle en bois que j’ai fait restaurer et refait à l’origine en inscrivant son prénom dessus. À partir de ce moment, je n’ai jamais arrêté de collectionner. Jouets anciens, camions à pédales, trottinettes. Tout ce qui a un rapport avec le métier manuel. »
 
En 2009, au milieu une crise économique fragilisant le secteur du bâtiment, Mich’to a tiré un trait sur son activité de charpentier et ouvert au même endroit son dépôt-vente, accueillant vendeurs et acheteurs de meubles, tables, bibelots… Vite, il a monté un parquet, puis à côté un cabaret pour amuser ses petits-enfants et ensuite un premier bar, la salle d’école, la salle rouge... ouvrant des pièces pour chacune de ses collections, plongeant le visiteur dans les ambiances de son enfance.

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« Une dame est venue, elle regardait une machine à coudre et elle me dit : « je veux la démonter pour faire de la déco ». Je lui ai dit : « non vous la laissez là, terminé ! » Une belle machine comme ça quand même. Il y a des gens qui ont travaillé dessus. »
 
Petit à petit, plutôt que vendre, Mich’to a préféré faire visiter, organiser des soirées privées, des cabarets, des anniversaires. Jean-Pierre Mocky est venu y tourner des scènes, tout comme Slony Sow qui a filmé dans la cuisine quelques plans d'Umami no tabi avec Pierre Richard et Gérard Depardieu, propriétaire du château de Tigné, qui n’hésite pas à s’arrêter voir Mich’to lors de ses passages en Anjou.

Des événements qui donnent vie à ce lieu et apportent des fonds pour continuer à concrétiser ses idées, qui viennent vite et ne changent jamais. À près de 70 ans, la dernière en date sera aussi l'ultime : un vrai dancing d’époque, avec une cabine de disc-jokey et un parquet hexagonal en bois. C’est à ce chantier, plié en deux pour percer, mesurer, fixer les premières planches, qu’il passe le plus clair de son temps, quand il n’est pas interrompu par des copains qui viennent boire un coup ou simplement jeter un coup d’œil. Mais même s’il grogne, s'il est toujours pressé, si les coups de main n’arrivent jamais assez nombreux, si l'avancée des travaux dépend toujours des rentrées d'argent, Mich’to avance bien. Et il le faut car il reste un gros morceau, le clou du spectacle. Un plafond, en bois lui aussi et en forme de vague, qui amènera les danseurs jusqu’à la piste. Après ça, fini. Il prendra du recul, déléguera l’organisation, mais sera toujours là pour accueillir, tenir le bar et profiter de ce lieu qu’il a fait de ses mains. 

Pourtant, ce jour là, la brocante, le cabaret, ne sont pas dans ses pensées. Mich'to a le regard triste. La veille, celle qui partageait sa vie depuis trois ans lui a dit que c’était terminé.

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« Elle est toujours amoureuse, mais le cabaret, elle en veut pas. Elle m’a dit : si t’arrêtes, je suis là. Voilà les résultats d’hier soir. Ça fait une tape dans la gueule. Je me retrouve encore seul à 67 ans ».

Une « deuxième secousse » après le départ de sa femme, partie après 43 ans de mariage, « sans jamais faire de reproche. Elle m'a toujours laissé faire ce que je voulais mais bon, il y a le prix d’une maison là-dedans ». Le coût d'une passion qui prend du temps, de l'argent et une grosse partie de sa vie. Mais Mich'to ne se lamente pas et se remet au travail, consolé maladroitement par un copain de longue date. Un de ceux, fidèles depuis 50 ans, qui viennent chaque jour ou presque ajouter leur voiture ou leur moto à la rangée de vieilles autos garées devant chez Mich’to. Qui s'invitent à discuter pour quelques minutes ou plus longtemps, qui viennent boire un verre et se moquer gentiment de leur ami : Michel, flegmatique passionné, caché dans le creux d’un faux virage.

« C'est ça que je voulais : pouvoir jouer à la pétanque avec elle ».

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